L'achat (mouvementé) du moulin de Brou
La Ville de Brou possèdait, depuis le 1 juillet 1889, un bâtiment que l'on appelle "Le Moulin de Brou". Ce bâtiment est situé au bord de la rivière l'Ozanne, au fond de la ruelle du Moulin. La ruelle du Moulin prend rue de Châteaudun à quelques mètres de la place du 4-Septembre. Voici l'histoire (mouvementée) de son achat.
Bien entendu le moulin ne fonctionne plus depuis longtemps la roue et les machines ont été enlevées. Comme tous les moulins, celui de Brou disposait, pour fonctionner, d'un vannage situé tout à côté de lui, mais aussi d'un autre vannage et d'un déversoir situés en amont, sur le bief.
Tant qu'un moulin fonctionne, le meunier est obligé, pour la bonne marche de son exploitation, d'entretenir non seulement son vannage, sa roue et ses machines mais également le déversoir et l'autre vannage, le tout étant du reste sa propriété.Mais si l'exploitation vient à disparaître, le propriétaire ne fait plus aucun frais pour l'entretien d'ouvrages qui ne sont plus d'aucune utilité pour lui
Aussi, assez rapidement, tout s'abîme et la rivière revient à son état naturel, en d'autres termes, les eaux sont, comme on dit, toujours basses.
Légalement rien n'oblige un ancien meunier à entretenir ses ouvrages, il peut toujours remettre le cours de la rivière dans son état naturel.
Bien entendu, s'il est d'intérêt public que ces ouvrages subsistent pour maintenir le plan d'eau à un certain niveau, une commune peut les acheter, soit à l'amiable, soit par vote d'expropriation pour cause d'intérêt public et ensuite les faire manœuvrer et les entretenir à ses frais.
En 1896, il y'avait sur la rivière de nombreux lavoirs ainsi qu'une tannerie qui utilisait la rivière pour faire tremper ses cuirs. Plus que quiconque, M. Baudin, Maire de Brou, mais aussi propriétaire de cette tannerie, avait intérêt que le plan d'eau soit toujours haut.
Or voici que le propriétaire du Moulin Pichot écrit au Maire pour l'informer qu'il allait démolir ses vannes (elles devaient être en mauvais état).
M. Pichot, propriétaire des vannes devait les lever lorsqu'une crue était sur le point de se produire. Cela l'obligeait à une surveillance continuelle, dont il pouvait se dispenser en supprimant le vannage.
M. Baudin, sans en référer à quiconque, alla trouver le propriétaire et lui proposa personnellement d'acheter le moulin, ses dépendances, et ses ouvrages. Le propriétaire accepta et un compromis fut immédiatement signé.
Le 5 juillet 1896, M. Baudin réunit le Conseil et l'informa de ce qu'il avait fait à titre personnel, mais il ajouta qu'il n'avait aucune visée sur le moulin et que si la commune voulait s'en rendre acquéreur, il était tout prêt à ce désister en faveur de la Ville. Après deux jours de réflexion, le Conseil se réunit de nouveau, le 7 juillet, mais donna une réponse négative, le moulin ne pouvait intéresser la commune. Le 28 août 1896, M. Baudin signait à titre personnel, l'acte qui le rendait propriétaire du moulin.
L'année suivante, huit Conseillers municipaux de Brou adressent une pétition au Préfet. Ils se plaignent que M. Baudin a abaissé le niveau de la crête de ses vannes de 15 centimètres : Ils demandent que les vannes soient levées tous les samedis soirs, pour nettoyer la rivière et que cette manœuvre soit confiée à du personnel communal, commandé par la municipalité.
Le Préfet fit étudier l'affaire par les Ponts et Chaussées. Aussi le 28 avril 1898 M. Baudin donna lecture au Conseil de ce que venait de lui transmettre la préfecture :
1°) La pétition des huit Conseillers ;
2°) Le rapport de M. l'ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées qui concluait que le fait de confier à la Municipalité la manœuvre des vannes équivalait, pour le propriétaire à une dépossession, qui ne pouvait avoir lieu sans son consentement express ou après expropriation pour cause d'utilité publique, ce que le Conseil municipal était seul compétent à demander.
Quant à la mise basse des eaux, chaque semaine continuait l'ingénieur, des Ponts, celui ci serait plus nuisible qu'utile, surtout l'été, lorsque le débit de l'Ozanne est faible. Étant donné l'importance du bief, l'eau mettrait longtemps à remonter. Pendant ce temps les riverains seraient privés d'eau et exposés aux émanations pestilentielles provoquées par l'action du soleil sur la vase.
Enfin, M. Baudin lut une longue lettre de lui-même.
En résumé M. Baudin rappelait que si le moulin n'appartenait pas à la commune, c'était bien de la faute du Conseil qui n'avait pas su profiter de son désintéressement 2 ans plus tôt. Puis il attaqua en disant que la pétition est dirigée contre lui : si l'on vide chaque semaine la rivière, il faudra trois où quatre jours pour la remplir.
Cette privation d'eau entraînera le chômage des lavoirs et de la tannerie particulièrement visée dans la pétition. Si je ferme la tannerie, ajoute-t-il, deux jours par semaine qui emploiera ces chômeurs? Est-ce la Ville? ... Des villes plus manufacturières que Brou : Vendôme, Châteaudun, Saint-Calais, Mondoubleau, Nogent le Rotrou, appellent de tous leurs vœux des établissements, nouveaux, dans cet élan industriel, Brou seul proteste.
Après explication de M.Beljambe, l'un des huit pétitionnaires, où il semble que M. Beljambe, désirant atténuer les effets de la pétition, dit qu'il n'était pas question de vider complètement la rivière chaque semaine, mais seulement un peu de la quantité d'eau récupérable pendant la nuit l'ordre du jour fut adopté : le Conseil en restait aux termes de la délibération des 5 et 7 juillet l896, relative à la cession du moulin à la commune par M. Baudin.
Le 13 septembre, le préfet répondit à la commune, cette lettre fut lue au Conseil le 19 septembre ; Président : M.Beljambe : dix présents, neuf absents dont M. Baudin.
"Je ne doute pas, écrivait le préfet, que vous ne soyez pas d'accord avec moi, comme avec vos collègues, pour mettre un terme aux difficultés et aux malentendus dont ne peut que souffrir l'intérêt public".
Plus loin on lisait : "Le Conseil aura à se prononcer : soit sur l'achat du moulin par la commune, amiablement ou par voie d'expropriation, soit la question de salubrité restant seule en cause, pour le renvoi du rapport du service hydraulique au Conseil d'hygiène de, Châteaudun qui me fera telle proposition qui lui paraîtra convenable.
A la lettre du Préfet était en effet joint un rapport du 14 avril 1898 du Service hydraulique, que la Préfecture avait alerté en son temps.
Par 9 voix contre une, l'achat à l'amiable du moulin fut décidé.
Le 27 novembre 1898, M. Hacault était désigné pour étudier avec M. Baudin la cession du moulin (le Maire était absent).
Le 2 janvier l899 (président, M. Beljambe), l'adjoint informe le Conseil que M. Hacault a vu M. Baudin qui accepte verbalement de céder à la commune le moulin pour son prix de revient acquisition : 6.125,15F, frais divers 1.307,65F, total 7.432,60F.
Le Conseil accepte à l'unanimité ces conditions et prie M. Baudin de signer une promesse écrite. Puis une commission est, désignée pour s'occuper de l'achat et de la revente des bâtiments et dépendances. Seuls les ouvrages sur la rivière intéressent la commune, les bâtiments ne lui paraissaient d'aucune utilité.
Le 21 février 1899; les 13 présents (dont M. Baudin) et 5 absents. M. Beljambe (M. Baudin s'étant retiré pour cette affaire) lit une lettre de M. Baudin adressée aux Conseillers où il proteste contre certains bruits qui circulent tendant à faire croire qu'il veut exiger, dans l'acte de vente, des réserves et des clauses tendant à diminuer la valeur du moulin. Vous avez maintes fois déclaré (et c'est votre pensée) conclut M. Baudin, que vous vouliez en rien nuire au travail des ouvriers tanneurs ; Je n'en demande pas d'avantage.
Après cette lecture le Conseil renouvelle son intention d'acheter le moulin au prix de 7.452,80F quant au mode de paiement, le Conseil se réserve de l'indiquer au vendeur après la signature de la promesse de vente.
En fait cette promesse de vente fût signée le 25 février1899. Il était bien stipulé que M. Baudin acceptait d'être payé du prix de la vente dans un délai qu'il laisserait au Conseil le soin de fixer.
La lecture du procès verbal de la séance du 27 avril 1899 donne quelques précisions sur le moulin. Il avait été loué par M. Baudin 300F par an.
Une fois propriétaire, la ville bénéficiait de cette location. Elle bénéficiait également des locations passées et à passer avec les propriétaires de jardin situé de l'autre côté de la rivière pour le passage sur le pont appartenant au moulin. Le pont en question existe toujours. Il faisait, à l'époque, partie du moulin. Ceux qui devaient traverser la rivière l'empruntaient et, pour cela, le meunier leur réclamer une redevance annuelle, qui faisait l'objet d'un acte en bonne et due forme. La commune, comme avant elle M. Baudin, était en droit de continuer à percevoir ces redevances.
Par la suite le Conseil, considérant que l'état des finances communales ne permettait pas de payer M. Baudin avant plusieurs années décida que le prix serait payé sur les ressources ordinaires de la commune dans un délai n'excédant pas 10 ans. L'intérêt à servir serait de 3,5% net d'impôts à partir de la réalisation de la vente.
L'acte fut signé le 1er juillet 1899 et le 5 juillet, le Conseil décida de confier au garde champêtre la manœuvre des vannes. Ce dernier était déjà chargé de celles du moulin de Mouddeau(1).
Le 18 août, le Maire était autorisé à verser à M. Robert, notaire à Brou, la somme de 703,15F pour les débours et honoraires dans la vente du moulin.
Dix ans plus tard, M. Baudin était mort mais la commune n'avait pas encore réglé sa dette. Aussi, Mme veuve Bodin écrivait une lettre lue le 4 juin 1909, par laquelle elle informait la commune qu'elle accordait le délai dont elle aurait besoin pour le remboursement de la créance exigible le 1er juillet 1909.
Le 9 janvier 1911, on peut encore lire que la commune envisage le principe du règlement immédiat de sa dette envers Mme Baudin à l'occasion d'un emprunt que la commune se proposait de souscrire pour l'achat d'un moteur à gaz d'éclairage pour le service des eaux. Malgré cela, on sais quand la commune s'acquitta de sa dette ; elle n'était pas remboursée en 1920.
En vertu de la décision du 27 avril 1899, la commune chercha à faire rentrer dans ses caisses les redevances dues pour le passage du pont du moulin. Un titre global de recettes, au montant de 51,25F fut émis contre les propriétaires des jardins empruntant le pont. Mais six d'entre eux adresse une pétition au Maire pour que la commune rende le passage public.
Le 6 avril 1900, le Conseil votait que tant que la commune serait propriétaire du moulin, il y aurait lieu de laisser la libre circulation sur le pont, mais que si la commune était obligée de supprimer cette tolérance, elle établirait, à l'aval, côté abreuvoir, une passerelle permettant l'accès aux jardins. Le Conseil enfin demanda l'annulation pure et simple du titre de recette.
(1) les vannes du moulin de Mouddeau sont les vannes situées à l'ancien abreuvoir (près du carrefour de la rue de Chateaudun et la rue du Pont Mousson)
Source : Histoire des bâtiments Communaux R.Bredier 1960